A la Sant Joan d’Estiu, la nuèit es tant pichòta…
A la Sant Joan d’Estiu, lo jorn es tant grandet… »Et la tension est forte, en ce solstice d’été, entre le jour le plus long de l’année et la nuit la plus courte…
Et la terre semble si proche du soleil qu’elle pourrait s’embraser…
Et le feu triompher…
Et l’univers serait plongé dans le chaos.
Mais par un curieux miracle, l’équilibre du monde se maintient.
Et le Temps se retourne !
Les jours deviennent de plus en plus courts. Les nuits de plus en plus longues…
Jusqu’à la prochaine porte du temps, le solstice d’hiver…
L’héritage antique d’un culte ancien du soleil ?
Ainsi pensaient les ancêtres en allumant les brasiers des feux solsticiaux pour accompagner le mouvement de l’univers, nous explique l’ethnologue Claude Gaignebet.[1]
Pour le monde antique, qui mettait la terre au centre de l’univers, deux grands dangers pesaient sur elle: le feu et l’eau. Au solstice d’été, le soleil s’avançait dangereusement de notre planète et le feu menaçait de tout brûler. Au solstice d’hiver, le soleil
s’éloignait tant que l’eau de pluie menaçait de tout noyer dans un déluge. En ces deux moments sensibles, où le chaos déambulait autour de la Terre, les sphères célestes étaient toutes perturbées. Les hommes, humblement, soutenaient le soleil pour qu’il s’en retourne et ne s’écrase pas sur la terre.
Parce que c’était le risque ! Le jour du solstice, chacun pouvait vérifier que le soleil hésitait à l’horizon. Il
ne savait pas quoi faire. Continuer d’avancer ou faire demi tour ? Solstice, du latin « Sol -Stare », le soleil s’arrête.. Heureusement, le Temps s’en retournait! Il rebroussait chemin vers le solstice d’hiver. Pour Pline, le solstice était un moment de renversement de la nature où le temps basculait. Tout faisait demi-tour à ce
moment là, même les feuilles du tremble.
Le temps des feux de joie.
Maissi tout faisait demi-tour, le solstice d’été était aussi la célébration de l’apogée du soleil nourricier qui donne du pouvoir aux plantes. Pour cela, les fêtes païennes du solstice étaient des fêtes de la fertilité.
Durant ces festivités avant tout agricoles, chacun venait soutenir le soleil qui alimente le vivant et célébrer les unions conjugales. Elles avaient lieu autour du solstice d’été (le 21 juin) et marquaient le début des moissons. C’était le moment où le monde venait « se louer » dans les fermes pour trouver du travail, avant de faire la «solenca» à la fin de l’été ( nom des fêtes de fin des moissons qui a pour origine étymologique «sol», de soleil). D’ailleurs, cette association du soleil avec l’idée d’abondance transparaît dans l’expression occitane « Aver de ben solelh», qui signifie « être riche».
L’église catholique essaya d’écraser ces pratiques païennes. N’y parvenant pas, elle recouvrit ces fêtes avec deux saints, Saint Jean Baptiste au solstice d’été, le 24 juin, et Sain Jean l’évangéliste, au solstice d’hiver , le 27 décembre. Ainsi la fête du solstice d’été devint la «fête de la Saint-Jean».
Les herbes de la saint Jean, rites et croyances.
« Pour le feu comme l’eau, on peut d’abord faire état d’un accord unanime sur la poésie naturelle du feu.
Avec le spectacle du feu, nous recevons une poésie exubérante, une poésie native, à laquelle aucune âme ne reste indifférente».[2]
Avec le feu terrestre, homologue symbolique du feu céleste, les hommes cherchaient avant tout à protéger les récoltes. Au moyen âge, plusieurs croyances et rites se pratiquaient pour la Saint-Jean. La nuit du 23 au 24, les gens allaient récolter les «herbes de la Saint-Jean». Millepertuis, sauge officinale, hélichryse, thym, noyer, gorgées de soleil, c’était le jour de l’année où elles étaient les plus puissantes. C’est pour cette raison que les herbes de la Saint-Jean étaient les herbes médicinales par excellence.
Une pratique assez répandue était de passer ces herbes dans le feu de la Saint-Jean et de les appliquer dans les champs. Ces fumigations étaient une façon d’éloigner tous les mauvais esprits, les démons mais aussi les tempêtes. En outre, les paysans pensaient que les fumigations purifiaient les champs et que grâce à elles, la récolte serait bonne. Certains en mettaient à la croisées des chemins pour faire fuir les sorcières.
Jusqu’à des temps encore assez proches, les gens récupéraient les sarments brûlés le lendemain du feu pour servir de paratonnerre pour l’année.[3] En Bretagne, des branches d’orpin passées dans le feu, symbole de l’astre qui réanime la nature, apportaient la vie dans les maisons, croyait-on. [4] Ainsi fumées, elles avaient reçu le germe de vie. Selon la même idée du pouvoir fertilisateur du soleil, et donc du feu, les femmes accrochaient sous les jupes un bouquet d’herbes de la Saint-Jean pour augmenter leur fertilité.
Certains laissaient les herbes baigner dans l’eau la nuit toute et se lavaient avec le lendemain pour afortir leur santé. En Auvergne, la nuit de la Saint-Jean était la nuit où le Drac (Le Dragon-diable) réunissait les sorciers de la région pour célébrer une messe noire en haut du volcan du Puy de Dôme et répartir les pouvoirs entre eux. Les apprentis sorciers devaient cueillir les herbes de la Saint-Jean la nuit du 23 à reculons.
Et aujourd’hui ?
Sans nul doute, si nous posions la question aux anciens de la région, ils nous raconteraient qu’autrefois, dans leur jeunesse, l’on faisait pour la Saint-Jean un feu géant sur la place du village… Certains se rappelleraient que chacun portait un sarment de bois pour construire le feu collectif. Selon les endroits, les vieux vous raconteraient qu’ils faisaient brûler dans le feu les vieilles affaires dont on voulait se débarrasser. Mais aux quatre coins de l’Occitanie, les anciens vous diraient que pour la Saint-Jean, la coutume était de danser ensemble et de sauter le feu géant. Sauter le feu était un gage de bonne santé pour l’année à venir. Le sauter à deux avec son amoureux ou son amoureuse faisait durer l’amour éternellement.
De nos jours, selon les endroits, quelques coutumes de feu de la saint jean subsistent ou furent réinventées. Dans le pays catalan, depuis 61 ans, des montagnards de plusieurs villages vont allumer la flamme au sommet du pic du Canigou.[5] Une fois le feu allumé, ils descendent en porter une flamme à tous les villages environnants et jusqu’au mont Ventoux en provence. À Pezenas, dans l’hérault, le collectif temporadas et le théâtre des origines aidés des élèves de la Calendreta dels polinets, réinventèrent un rituel théâtralisé autour du feu de la saint Jean et des 4 éléments qui nous font vivre : le feu, l’eau, l’air et la terre..[6]
À nous de saisir la flamme du canigou sur le passage et de ressusciter cette belle célébration du soleil, du cycle des saisons et de la nature nourricière. Cette année, la calandreta de Villefranche-de-Lauragais relève le défi.
Maud Moureau
La Sant Joan d’estiu
Per La Mal coiffée, paraulas de Claude Alranq, musica de B. Connac/L. Cavalié
A la Sant Joan d’estiu,
La nuèit es tant pichòta.
Tant pichòta es la nuèit que la mentida ombra.
Ombra sus la luna, ombra sus lo fuòc.
E viran viran las sorcièiras
Jos una pibola.
E cric cric fa lo grilh,
E chòt chòt la nichòla.
A la Sant Joan caldrà cambiar de bòria e de sòrta.
A la Sant Joan d’estiu,
Lo jorn es tant grandet.
Tant grandet es lo jorn que lo jorn fa lo pont.
Pont dempuèi la vida, pont fins a la mòrt.
E viran viran las armetas entorn d’una ciprièira.
E croac croac fa lo gòrp.
E tió tió la lauseta.
A la Sant Joan caldrà cambiar de bòria e de sòrta.
[1]Claude Gaignebet, Les nuits de france culture, les feux de joie de la saint jean.
[2]Claude Gaignebet, Les nuits de france culture, les feux de joie de la saint jean.
[3]Christian Pierre Bedel, « Espaliu, Bessuèjols, Lo Cairòl, Castèlnau, Sant-Cosme, Las Sots», Al canton, 1993.
[4]Hyacinthe Le Carguet, Le culte du soleil. La génération par le feu. Folck-lore du Cap-Sizun et de l’Île de Sein, « Bulletin de la
Société archéologique du Finistère », 1898, consultable https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k2076442/f470.image [archive]
[5]https://www.feuxdelasaintjean.com/
[6]https://temporadas.org/sant-joan/